La double tête de Saint-Marin

La double pointe, nous la connaissons comme formation classique en football, lorsque deux attaquants se partagent la charge offensive. Le pendant politique est le modèle de gouvernement de Saint-Marin. Il partage les responsabilités, exploite les synergies, mais exige une interaction parfaite. A Saint-Marin, les attaquants sont appelés Capitani Regenti. Leur tradition remonte au 13e siècle. Ils sont apparus pour la première fois de manière documentée sous le nom de Consules le 12 décembre 1243. Saint-Marin est ainsi la plus ancienne république active au monde. Cette double direction garantit la stabilité politique et l’équilibre des pouvoirs. En 1981, une femme, Maria Lea Pedini, a été élue pour la première fois Capitana Reggente. La cérémonie de prestation de serment a lieu deux fois par an. Une visite au Palazzo Pubblico à Silvia Berti, directrice du protocole diplomatique, et Giovanna Crescentini, secrétaire d’Etat aux affaires intérieures.

Les membres de la garde du Conseil en uniforme traditionnel marchent vers le Palazzo Publico / © Photo : Georg Berg
Les membres de la garde du Conseil en uniforme traditionnel marchent vers le Palazzo Publico / © Photo : Georg Berg

La démocratie en action

Chaque année, peu avant le 1er avril et le 1er octobre, les préparatifs pour la prestation de serment solennelle des nouveaux représentants de l’État battent leur plein. Silvia Berti, la plus haute responsable du protocole, maîtrise le déroulement jusque dans les moindres détails. Alors que les dirigeants de la République de Saint-Marin changent tous les six mois, Berti sert l’État depuis près de 30 ans. Elle a installé de nombreux capitani reggenti dans leurs fonctions. « Notre modèle de gouvernement exige beaucoup de coopération – les capitani reggenti doivent d’abord apprendre qu’ils sont deux », explique Berti. Les deux titulaires de la fonction possèdent un droit de veto mutuel qui empêche la concentration du pouvoir. L’approche collective de la direction, avec un changement tous les six mois, dynamise la politique et empêche les structures de pouvoir figées.

Les deux voitures officielles des Capitani Regenti sur la Piazza della Libertà à Saint-Marin, numérotées SM 001 et SM 002 pour les deux premiers citoyens de l'État / © Photo : Georg Berg
Ils partagent une fonction, mais pas une voiture : les deux voitures officielles des Capitani Regenti sur la Piazza della Libertà à Saint-Marin / © Photo : Georg Berg

Tradition et diplomatie

Le jour de l’investiture, des défilés parcourent la vieille ville. Tout se passe entre le Palazzo Pubblico sur la Piazza della Libertà et la basilique de Saint-Marin. La cérémonie est aussi une fête populaire, les touristes sont les bienvenus, souligne Silvia Berti. Mais vu la fréquence élevée des prestations de serment, tous les San Mariniens sont loin d’être debout, concède-t-elle. Seuls 33.500 personnes peuvent s’appeler San Marinesi – ce qui correspond au nombre d’habitants d’une ville européenne de taille moyenne. Mais malgré sa petite taille, la République de Saint-Marin entretient un réseau diplomatique impressionnant d’activité. Elle entretient des relations à plusieurs niveaux : avec les Nations unies, l’OSCE, le Conseil de l’Europe et le Fonds monétaire international. En outre, Saint-Marin entretient 11 ambassades et des contacts diplomatiques avec plus de 110 pays. Silvia Berti rapporte que l’entretien de ces relations fait également partie de ses tâches. Elle a elle-même déjà été ambassadrice pour la Finlande, l’Estonie et la Lituanie.

Les deux représentantes de haut rang de la République de Saint-Marin, Silvia Berti et Dr Giovanna Crescentini dans le hall du Palazzo Publico escortées par des membres de la garde du Conseil / © Foto : Georg Berg
Les deux hauts représentants de la République de Saint-Marin, Silvia Berti et Dr Giovanna Crescentini dans le hall du Palazzo Publico escortés par des membres de la Garde du Conseil / © Photo : Georg Berg

Le pouvoir tournant au Palazzo Pubblico

C’est la semaine de session au Parlement de Saint-Marin. Les 60 députés travaillent bénévolement et ont pour la plupart d’autres professions. Le Parlement de Saint-Marin se réunit de manière irrégulière, selon les besoins, et reste ainsi flexible – ce qui est typique des petits États à gouvernance directe. Les deux Capitani Reggenti dirigent le Consiglio Grande e Generale (Parlement), mais n’y ont pas le droit de vote. Ils dirigent les séances et, en tant que garants suprêmes de l’ordre étatique, ils veillent au respect des principes constitutionnels. 

Semaine de session au Parlement de Saint-Marin. Les deux Capitani Regenti du 1.10.2024 au 1.4.2025 Francesca Civerchia et Dalibor Riccardi président le Consiglio Grande e Generale (Parlement), mais n'y ont pas le droit de vote / © Photo : Georg Berg
Semaine de session au Parlement de Saint-Marin. Les deux Capitani Regenti du 1.10.2024 au 1.4.2025 Francesca Civerchia et Dalibor Riccardi / © Photo : Georg Berg

Giovanna Crescentini nous conduit sur le balcon de la salle de réunion. La juriste est responsable de l’administration intérieure, de la sécurité publique et de la coordination institutionnelle. Elle assiste également les Capitani Reggenti dans les affaires protocolaires et administratives. Les capitani reggenti sont élus parmi les députés, explique Crescentini. Francesca Civerchia, la Capitano en exercice, illustre l’alternance des compétences des parlementaires : cette chercheuse en sciences sociales siège au Parlement depuis 2019. En tant que députée, elle a initié une loi pour soutenir les mères célibataires, explique Crescentini. En tant que chef du gouvernement, elle ne peut pas initier de nouvelles lois, mais seulement les annoncer publiquement.

Silvia Berti, directrice du protocole diplomatique, explique les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs à Saint-Marin. Ici : les grands maîtres pro tempore de l'ordre des chevaliers de Saint-Marin sont les capitani Regenti. Ils sont le seul corps habilité à porter les insignes de l'Ordre lors de cérémonies et d'événements officiels / © Photo : Georg Berg
Silvia Berti, directrice du protocole diplomatique, explique les principes fondamentaux de la participation des pouvoirs à Saint-Marin. Ici : les grands maîtres pro tempore de l’Ordre des chevaliers de Saint-Marin sont les capitani Regenti. Ils sont le seul corps habilité à porter les insignes de l’Ordre lors de cérémonies et de manifestations officielles / © Photo : Georg Berg

Vive la démocratie!

Les Capitani Reggenti de Saint-Marin font partie des plus anciennes fonctions démocratiques continues du monde. Leurs origines remontent au 13e siècle. Très tôt, la durée du mandat a été fixée à six mois et un droit de veto réciproque a été introduit pour éviter la tyrannie. Les statuts de 1600 précisèrent ces règles et apparaissent aujourd’hui, 425 ans plus tard, comme un manuel pour une démocratie résistante : à l’époque, on fixa l’âge minimum à 25 ans, on interdit la réélection directe par une pause de trois ans et on exigea des comptes après la fin du mandat. 

Tactilia à Saint-Marin est un musée tactile en plein air, inauguré en 2019, qui s'adresse spécifiquement aux personnes malvoyantes ou aveugles. Il fait partie du projet San Marino Accessible Tourism, qui promeut la participation culturelle des personnes souffrant de handicaps sensoriels ou moteurs. Des modèles de monuments connus, des œuvres d'art et des symboles historiques sont présentés. Ici : panneau tactile sur le tableau d'Emilio Retrosi (Saint Marin apparaît à son peuple), accroché au Pallazo Publico / © Photo : Georg Berg
Tactilia à Saint-Marin est un musée tactile en plein air. Il fait partie du projet San Marino Accessible Tourism, qui promeut la participation culturelle des personnes souffrant de handicaps sensoriels ou moteurs. Ici : le tableau d’Emilio Retrosi (Saint Marin apparaît à son peuple), accroché dans le Pallazo Pubblico / © Photo : Georg Berg

Deux fois par an, les citoyens peuvent présenter des initiatives législatives selon la tradition d’Arengo – un modèle de démocratie directe rare en Europe. Depuis 1243, ce modèle de gouvernement a perduré, même pendant l’unification des États italiens fragmentés au XIXe siècle et le fascisme. En 2008, l’UNESCO l’a reconnu comme patrimoine culturel mondial, car il représente un modèle unique de démocratie médiévale.

Parlement de Saint-Marin (Consiglio Grande e Generale). 60 députés sont élus pour une périodicité législative de cinq ans. La coalition gagnante obtient au moins 35 des 60 sièges (
Parlement de Saint-Marin (Consiglio Grande e Generale). 60 députés sont élus pour une période de législature de cinq ans. La coalition gagnante obtient au moins 35 des 60 sièges (« Premio di Stabilità ») si elle obtient la majorité absolue au premier tour ou si elle remporte un second tour / © Photo : Georg Berg

Ce que le monde peut apprendre de Saint-Marin

Alors que de nombreuses démocraties souffrent de populisme ou d’autoritarisme, Saint-Marin prouve comment les institutions historiques, la participation citoyenne et la séparation des pouvoirs favorisent la stabilité. Même les plus petits États peuvent être des modèles mondiaux. La politique étrangère de Saint-Marin se concentre sur les droits de l’homme, le maintien de la paix et la coopération économique. L’État a fait preuve de grandeur à plusieurs reprises, notamment sur la question des réfugiés. En 1943 et 1944, Saint-Marin a offert sa protection aux civils et aux personnes persécutées : les juifs, les opposants politiques au régime de Mussolini et les personnes déplacées par la guerre.

Documentation photographique dans la section du tunnel près de Borgo Maggiore. Des photos historiques montrent l'hébergement de jusqu'à 100.000 réfugiés (1943-1944), dont des civils italiens et des personnes déplacées par la guerre. Les images documentent les conditions de vie exiguës et le rôle humanitaire de Saint-Marin / © Photo : Georg Berg
Documentation photographique dans la section du tunnel près de Borgo Maggiore. Des photos historiques documentent les conditions de vie exiguës et le rôle humanitaire de Saint-Marin / © Photo : Georg Berg

Malgré le régime fasciste, le pays sauva quelques juifs de la déportation. Pendant les années de guerre, Saint-Marin a accueilli 100.000 personnes. Dix fois le nombre de ses habitants. Les hébergements étaient ingénieux : une ligne de chemin de fer désaffectée entre Saint-Marin et Rimini a servi de quartier de masse, des écoles, des couvents et des maisons communales ont été transformés en camps de réfugiés et des particuliers ont ouvert leurs portes. Silvia Berti souligne que la paix, la démocratie et la liberté sont les piliers de son pays. Après l’attaque russe contre l’Ukraine, Saint-Marin a immédiatement agi : elle a accueilli des réfugiés ukrainiens, intégré des enfants dans des écoles et envoyé des générateurs d’électricité comme dons en nature.

Une policière régule le trafic routier sur la route d'accès au centre historique de Saint-Marin. Ici, vue à travers la porte des remparts sur le passage piéton et la policière de la circulation / © Foto : Georg Berg
Une policière régule le trafic routier sur la route d’accès au centre historique de Saint-Marin / © Foto : Georg Berg

Pourquoi Napoléon s’est défilé

Les gouvernants de Saint-Marin ont fait preuve à plusieurs reprises d’habileté dans leurs relations avec les grandes puissances. Ils refusèrent ainsi une généreuse donation à Napoléon Bonaparte, fervent admirateur de leur République. Lors de sa campagne italienne de 1797, il offrit à Saint-Marin une extension jusqu’à la mer Adriatique, ainsi que des canons et des céréales. Il ordonna à son armée de respecter les frontières du petit Etat. Les Saint-Marinois refusèrent les terres pour éviter les conflits avec les voisins et n’acceptèrent que le blé comme geste symbolique. Ils s’en tenaient à leur neutralité et plaçaient la souveraineté au-dessus de l’expansion.

Vue sur l'imposant sommet avec la forteresse de La Guaita et la campagne environnante. Le Monte Titano se dresse à 739 mètres d'altitude au milieu d'une plaine. Selon la légende, la République de Saint-Marin aurait été fondée en 301 après J.-C. par le tailleur de pierre dalmate Marino. Elle est considérée comme la plus ancienne république du monde / © Photo : Georg Berg
Vue sur l’imposant sommet avec la forteresse de La Guaita et la campagne environnante. Le Monte Titano se dresse à 739 mètres d’altitude au milieu d’une plaine. Selon la légende, la République de Saint-Marin aurait été fondée en 301 après J.-C. par le tailleur de pierre dalmate Marino / © Photo : Georg Berg

Sainte Agathe et traces dans la neige

La République de Saint-Marin doit sa pérennité non seulement à l’habileté diplomatique, mais aussi, dit-on, à l’aide divine. Outre le saint fondateur Marinus, Sainte Agathe est considérée comme la co-patronne de la cité-État. Sa vénération est liée à une légende qui raconte la défense de Saint-Marin : Au 6e siècle, Agathe aurait induit en erreur une armée ennemie par une chute de neige soudaine et aurait ainsi empêché une attaque. Cette tradition reflète probablement des menaces réelles, lorsque les pouvoirs locaux et les autorités ecclésiastiques remettaient en question l’indépendance de la petite communauté. C’est à cause de ce sauvetage miraculeux qu’Agathe a été élevée au rang de deuxième sainte patronne de San Marino au Moyen-Âge. Et comme l’histoire revient souvent de manière étrange, une pensée : le Groenland aura peut-être bientôt besoin de l’aide divine. Sainte Agathe s’y connaît en neige. Qui sait si elle ne devra pas à nouveau accomplir un miracle lorsque les démocraties vacilleront.

Statue de Sainte Agathe du Palazzo Publico de Saint-Marin. Elle est la patronne de la République. Selon la tradition, Agathe aurait égaré une armée ennemie au VIe siècle en provoquant de fortes chutes de neige, ce qui aurait fait échouer une attaque contre Saint-Marin / © Photo : Georg Berg
Tour de la cloche du Palazzo Pubblico à Saint-Marin. Au-dessus de l’horloge se trouvent trois figures : les saints incarnent les valeurs centrales de la République : la justice (Quirinus), le sage gouvernement (Leo) et la protection de la communauté (Agatha) Au premier plan, la statue de la Liberté de Saint-Marin / © Foto : Georg Berg

Plus d’infos sur Saint-Marin

Dans la double tête de Saint-Marin, il s’agit des Capitani Regenti, qui font partie des plus anciennes fonctions démocratiques du monde. Parmi les attractions plus récentes de Saint-Marin, on trouve des sentiers de randonnée bien aménagés. Le sentier circulaire « Sentiero della Rupe » passe devant les trois tours de la République et se transforme ensuite en sentier de falaise qui longe le flanc abrupt et rocheux du Monte Titano. Que l’on se contente de flâner dans les ruelles de la vieille ville et de profiter sans cesse de la vue ou que l’on entreprenne une longue randonnée, par exemple vers la fresque murale isolée d’Eduardo Kobra « L’histoire de Saint-Marin » : Le soir, des restaurants comme Cesare, La Terrazza ou Il Ghetto da Ottavio vous récompensent avec des spécialités culinaires. Un snack entre deux est déjà fixé avec la piadina!

La recherche a été soutenue par Visit San Marino

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