Ce n’est pas un tapis rouge que l’on déroulera à la célèbre romancière, écrivaine prolifique et championne des droits des femmes à l’occasion du 150e anniversaire de sa mort. Au lieu de cela, une œuvre non conventionnelle verra le jour : tridimensionnelle, grande, belle – un tapis de femmes pour une femme. À Aubusson, le centre de la tapisserie en France, un hommage monumental à George Sand est en train de grandir. 23 mètres de long, plus de deux mètres de haut. Une visite entre les métiers à tisser, la filature de laine et la Cité internationale de la tapisserie.

Liberté de marcher et de penser
L’image de George Sand en France, 150 ans après sa mort, reste forte et complexe. Elle incarne le renouveau littéraire et le renouveau social. Sa volonté de briser les conventions et de s’immiscer dans les débats politiques lui assure encore aujourd’hui une certaine renommée. Au XIXe siècle, son style vestimentaire a provoqué des scandales qui ont tenu en haleine aussi bien la presse que la société parisienne. Elle fut la première femme en France à porter publiquement des pantalons et des vêtements masculins, ce qui lui permit d’accéder à des lieux et à des cercles habituellement fermés aux femmes. Elle fumait la pipe et le cigare, bien que cela fût interdit aux femmes, et se déplaçait librement et en toute indépendance dans Paris.

Le 8 juin 2026, date du 150e anniversaire de sa mort, le tapis Hommage à George Sand sera dévoilé à la Cité internationale de la tapisserie. Non pas sur un mur, mais sous forme d’installation praticable, l’œuvre d’art de 23 mètres de long invite les visiteurs à l’explorer. Le tapis illustre les étapes de leur vie et utilise le flux de l’eau et le paysage comme symboles de changement, de liberté et d’énergie vitale. Jusqu’à son achèvement, de nombreux corps de métier y travaillent – tous sous la direction de femmes : de la conception artistique à la teinture de la laine, en passant par le tissage et la communication.

Dans le flux des émotions – Françoise Petrovitch
La Cité internationale de la tapisserie a choisi Françoise Pétrovitch, une artiste française de renom. Pétrovitch est connue pour sa peinture expressive, dans laquelle elle aborde les thèmes de l’identité, de la fragmentation et des frontières entre les sexes. Ses personnages ambivalents et son utilisation ludique des formes et des couleurs ont fait d’elle le choix idéal pour interpréter artistiquement la personnalité complexe de George Sand.

Pour le tapis Hommage à George Sand , Pétrovitch a recours à la technique du lavis. Issue à l’origine de la peinture, cette méthode permet la transparence et des transitions fluides grâce à des applications de couleurs en glacis. Dans le tapis, ces effets se déploient en nuances finement dégradées, allant de nuances délicates à une subtile noirceur. La technique capte ainsi le flux d’émotions et d’états intérieurs et confère au tissu une dynamique vivante. La technique de tissage et la mise en œuvre des couleurs ont été réalisées en étroite collaboration avec une teinturière et les tisseuses, afin de traduire sous forme textile les nuances et l’effet de profondeur souhaités des dessins à l’encre. Mais les travaux nécessaires à la réalisation d’un tapis exceptionnel et d’une grande qualité esthétique commencent dès le matériau de base et son traitement, dans la filature de laine.

Là où le fil commence : Filer la laine
La filature de laine Terrade à Felletin fait partie des dernières entreprises traditionnelles de son genre en France. Depuis plus de 80 ans et en cinquième génération, Tiffany Terrade dirige l’entreprise familiale. Isolée au bord d’une petite rivière, la filature semble appartenir à une autre époque. Pourtant, c’est ici que naissent des fils de laine de la plus haute qualité. Dans les salles sombres, des machines qui n’ont pas changé depuis des décennies s’agitent. Tiffany Terrade et sa petite équipe, dont font partie son père et son grand-père, préservent le savoir-faire artisanal devenu rare de la filature de laine.

La filature est indispensable à l’art régional de la tapisserie. Elle prépare soigneusement la laine de mouton : la laver, la trier, la détendre et enfin la filer en un fil de qualité supérieure. C’est la qualité du fil qui détermine le tissage, explique Tiffany Terrade. Un fil régulier et robuste a une influence déterminante sur la durabilité et l’esthétique du tapis fini. Chez Terrade, les employés traitent 100 kilos de laine par jour. “Nous filons toute l’année”, explique Tiffany Terrade. Ils travaillent avec des laines brutes triées de différentes espèces comme la limousine, la solognote, l’alpaga ou le yak.

L’art des nuances – teindre la laine
Pour le tapis Hommage à George Sand, une palette de 42 couleurs a été créée, adaptée à la technique de Lavis. Nadia Petkovic a teint la laine à la main afin de mettre pleinement en valeur la fluidité des transitions, l’harmonie et la complexité des compositions de l’œuvre. L’art du tapis d’Aubusson est réputé pour la finesse de ses nuances de couleurs – on utilise souvent jusqu’à 220 teintes par œuvre.

Dans la filature de laine Terrade à Felletin, les visiteurs peuvent assister à la teinture artisanale de la laine. Le processus de teinture s’oriente généralement vers un échantillon du client. Les nuances souhaitées sont obtenues avec trois couleurs de base en poudre et un regard exercé – toutes les recettes sont basées sur l’expérience et non sur des directives écrites. La coloriste Marina Bahri travaille actuellement sur une nuance de bleu intense. Elle explique que l’intensité est contrôlée par le temps de teinture. C’est le temps passé dans le bain de teinture – et l’œil exercé de la coloriste – qui détermine si un fil devient rose ou rouge.

Du carton au métier à tisser
Avant qu’une œuvre comme l’Hommage à George Sand ne soit créée sur le métier à tisser, le dessin original doit être transféré sur un modèle en carton – un métier à part entière. Delphine Mangeret, cartonnière-coloriste dont l’atelier est situé à Aubusson, s’est chargée de cette tâche. Elle a traduit le projet en un modèle adapté au tissage. Elle a travaillé en étroite collaboration avec l’artiste. Ensemble, elles ont veillé à transposer l’esthétique et les effets de Lavis dans l’art du tissage, à représenter avec précision les dégradés de couleurs et les lignes fines. Le modèle en carton terminé est tendu dans le métier à tisser de table – ce n’est qu’alors que commence le travail des tisseuses.

Le travail des tisseuses
Pendant plus de deux ans, trois tisseuses travaillent sur le tapis Hommage à George Sand. Jour après jour, elles tissent chaîne et trame pour créer une œuvre monumentale qui se dérobe aux regards. Le métier à tisser avale le progrès : le tissu s’enroule sur l’envers, visible uniquement sous la forme d’une étroite bande sur le rouleau de tissage.
Sarah Chassain dirige l’équipe de l’Atelier Robert Four pour la tapisserie Hommage à George Sand. Avec ses collègues Frédérique et Agathe, elle présente un échantillon. “C’est avec cette pièce que nous avons présenté notre candidature à la Cité internationale de la tapisserie”, explique-t-elle. La petite pièce démontre les compétences que l’équipe doit maîtriser pour le tapis : des lignes fines, des dégradés de couleurs fluides – typiques de l’artiste Françoise Pétrovitch.
Entre chaîne et trame
Depuis le début de l’année 2024, Sarah Chassain et ses collègues travaillent déjà sur la tapisserie de 23 mètres de long. Au final, elles auront passé plus de deux ans à la tisser. “Les gens disent souvent : ‘Oh, comme vous devez être patientes ! “, raconte Chassain. “Cela semble poli, mais ils pensent que notre travail est monotone et ennuyeux. Pourtant, c’est tout le contraire. Aucune pièce ne ressemble à une autre. Bientôt, ce sera le tour du petit oiseau bleu ou d’un endroit particulièrement lumineux – je m’en réjouis”.
Les tisseuses se sont penchées de manière intensive sur l’œuvre. “Nous connaissons l’artiste et j’ai aussi lu George Sand pour me préparer”, explique Chassain. Le tapis doit être terminé pour mai 2026. Puis vient le moment que les tisseuses attendent avec des sentiments mitigés : “Notre bébé est coupé du métier à tisser. Pendant deux ans, nous avons tenu chaque fil en main. Maintenant, tous ceux qui ont participé à la réalisation viennent célébrer cet acte solennel. Mais dès que le tapis sera déroulé et que l’on pourra le voir pour la première fois dans toute sa splendeur, nous ne pourrons plus le toucher. Il appartient alors au public. D’un jour à l’autre, nous devons lâcher prise. C’est à chaque fois difficile. “
Parlons d’art
” C’est un projet titanesque avec une planification à long terme “, explique Héloise Gorse Fénelon, responsable de la communication de la Cité internationale de la tapisserie. L’idée d’Hommage à George Sand est née en 2020, six ans avant le 150e anniversaire de sa mort. Deux ans plus tard, après un appel d’offres, le projet George de Françoise Petrovitch a été sélectionné. S’ensuit la phase de préparation : fabrication du carton, choix des couleurs, teinture et essais de tissage. Fin 2023, le tissage proprement dit a été confié à la manufacture Robert Four. La tapisserie devrait être terminée en mai 2026 et la présentation publique est prévue pour juin 2026 à la Cité d’Aubusson – juste à temps pour le 150e anniversaire de la mort de George Sand.
Ensuite, notre tapis partira en voyage, révèle Héloise Gorse Fénelon. Il sera présenté sur un support mobile et autonome, qui permet différentes formes – par exemple en fer à cheval ou incurvé. Le public peut ainsi observer le tapis de dos et voir le dos normalement caché. Hommage à George Sand devient ainsi une installation mobile qui s’adapte de manière flexible aux différents espaces d’exposition. Plusieurs expositions sont prévues en France, mais cette tapisserie particulière pourrait également être exposée en Angleterre ou en Allemagne – des discussions sont encore en cours avec des lieux d’exposition potentiels.
Les incontournables en Nouvelle-Aquitaine
La Charente serpente sur 380 kilomètres à travers la région française Nouvelle-Aquitaine. Son cours mène de la région montagneuse de sa source aux plaines alluviales maritimes de son estuaire, en passant par les douces collines et les vignobles. A partir d’Angoulême, le fleuve est navigable jusqu’à l’Atlantique à Rochefort. Autrefois, il servait de voie de communication principale pour la production de cognac. Aujourd’hui, maisons de cognac et vignerons invitent au tourisme spirituel, tandis que des pistes cyclables comme le Flow Vélo passent devant des villages pittoresques, de vieux ponts de pierre, un seul bac flottant, des moulins à eau, des châteaux et la vieille ville d’Angoulême. La Charente est encore considérée comme un secret d’initiés, mais elle fait partie des paysages fluviaux les plus authentiques de France : peu de tourisme de masse, mais beaucoup de nature, de calme et de plaisir. La petite île d’Aix était autrefois un bastion protégeant l’estuaire de la Charente des flottes ennemies, aujourd’hui elle est appréciée pour une excursion d’une journée en mer.
Le voyage de recherche a été soutenu par Nouvelle-Aquitaine Tourisme et Creuse Tourisme.