L’absinthe – interdite et redécouverte

« Mon Dieu » – soyons honnêtes, beaucoup de choses sonnent mieux en français, sont plus élégantes, presque mystérieuses et légèrement malsaines. L’absinthe, en français Absinth, est un de ces mots. Ce nom a le goût de l’interdit. D’une manière ou d’une autre, tout le monde en a déjà entendu parler. Les détails sont souvent inconnus. Il vaut pourtant la peine de jeter un coup d’œil sur l’histoire mouvementée de cette boisson qui, traduite en allemand, signifie simplement Wermut (absinthe) et évoque des associations avec un amer aux herbes que l’on trouve dans le bar de la cave de grand-père. Mais pour l’absinthe, c’est différent.

Die grüne Fee – La fée verte – Absinth war das erste alkoholische Getränk, das Mitte des 19. Jahrhunderts auch Frauen in der Öffentlichkeit trinken konnten, ohne zur anrüchigen Halbwelt gezählt zu werden / © Foto: Georg Berg
Die grüne Fee – La fée verte – L’absinthe fut la première boisson alcoolisée que les femmes purent boire en public au milieu du 19e siècle sans être classées dans le demi-monde sulfureux / © Foto : Georg Berg

La fée verte et l’amère vérité

L’absinthe est entourée de grands noms de la Belle Epoque, parmi lesquels Picasso, Van Gogh ou Hemingway. Plus tard, cette boisson verte séduisante, avec sa source froide qui coule lentement et sa cuillère à sucre décorée, est devenue un accessoire typique de l’époque dans des films de cinéma comme Dracula de Bram Stroker. De plus, l’absinthe a été interdite pendant 96 ans en France, le pays où elle a connu ses plus grands succès commerciaux. Une foule de théories du complot, entre-temps scientifiquement réfutées, jusqu’à une tragédie familiale de 1905, exploitée par les médias, qui, à l’instar d’un shitstorm d’aujourd’hui, porte le coup de grâce à l’absinthe et conduit à son interdiction en 1910 en Suisse et à partir de 1915 en France.

Auf der Route de l’Absinthe kann man die bewegte Geschichte des Absinths erwandern. In nur 48 km von Pontarlier in der Region Franche Comté bis nach Noiraigue in der Schweiz / © Foto: Georg Berg
La Route de l’Absinthe permet de parcourir l’histoire mouvementée de l’absinthe. En seulement 48 km, de Pontarlier en Franche Comté à Noiraigue en Suisse / © Photo : Georg Berg

Route de l’Absinthe de Pontarlier au Val de Travers

Tous ces détails passionnants autour de l’absinthe peuvent aujourd’hui être retracés avec plaisir pendant les loisirs. Les régions autrefois concurrentes dans la production d’absinthe ont élaboré une route commune, le long de laquelle se trouvent des sites historiques, mais aussi des distilleries encore en activité aujourd’hui.

In Motiers im Schweizer Kanton Neuchatel steht das überaus unterhaltsame Absinth-Museum und an einigen Häuserwänden im Ort erinnern historische Plakate an die Zeit der Prohibition. Das Maison de l’Absinthe wurde in der ehemaligen Polizeistation des Ortes eröffnet. Hier hatte noch bis in die 1990er Jahre der letzte Richter für alle Angelegenheiten der Schwarzbrennerei sein Büro und einen Verhörraum / © Foto: Georg Berg
Motiers, dans le canton suisse de Neuchatel, abrite le très divertissant musée de l’absinthe et des affiches historiques rappellent l’époque de la prohibition sur les murs de certaines maisons du village. La Maison de l’Absinthe a ouvert ses portes dans l’ancien poste de police de la localité. C’est là que, jusque dans les années 1990, le dernier juge pour toutes les affaires liées à la distillation clandestine avait son bureau et une salle d’interrogatoire / © Photo : Georg Berg

Nous visitons la Maison de l’Absinthe à Motiers, dans le Val de Travers. C’est dans cette vallée qu’a été inventée l’absinthe dans son mélange d’absinthe, d’anis et de fenouil et, selon la recette, d’autres herbes comme l’hysope ou la mélisse. La première distillerie commerciale y a vu le jour en 1797. Aujourd’hui, un musée rappelle l’histoire mouvementée de l’absinthe. Mais c’est aux nombreuses distilleries de Pontarlier, en France, que l’on doit la percée. D’énormes quantités y ont été produites jusqu’à l’interdiction de 1915.

Im Val de Travers gedeiht Wermut besonders gut. Wermut, Anis und Fenchel machen den typischen Geschmack von Absinth aus. Die grüne Farbe kommt vom Chlorophyll des Wermuts sowie von anderen verwendeten Kräutern wie Ysop und Zitronenmelisse / © Foto: Georg Berg
Dans le Val de Travers, l’absinthe pousse particulièrement bien. L’absinthe, l’anis et le fenouil constituent le goût typique de l’absinthe. La couleur verte est due à la chlorophylle de l’absinthe ainsi qu’à d’autres herbes utilisées comme l’hysope et la mélisse citronnée / © Photo : Georg Berg

L’absinthe – considérée comme un remède dans l’Antiquité

Ce qui est curieux, c’est le passage de l’absinthe du statut de remède à celui d’herbe maléfique et malfaisante. Depuis l’Antiquité, la grande absinthe est considérée comme un mille-pattes de l’art de guérir. À l’époque déjà, on ajoutait de l’absinthe au vin. Ses effets thérapeutiques couvraient un large spectre : du somnifère éprouvé au remède contre les maux d’estomac, les rhumatismes, le mal de mer et la goutte. On dit même qu’elle soulage la chute des cheveux et les vers dans les oreilles.

Insbesondere der Wermut verleiht dem Absinth die Bitternote. Durch die Destillation wird der hohe Bittergehalt im Wermut abgemildert. Im Museum kann man getrockneten Wermut probieren und muss schnell feststellen, dass er pur ungenießbar ist / © Foto: Georg Berg
C’est surtout l’absinthe qui lui confère son amertume. La distillation permet d’atténuer la forte teneur en amertume de l’absinthe. Au musée, on peut goûter de l’absinthe séchée et on doit vite constater qu’elle est immangeable pure / © Photo : Georg Berg

Le succès de l’absinthe, la Belle Époque et l’heure verte

L’absinthe est devenue à la mode grâce aux soldats français dans les territoires coloniaux. Les médecins militaires mélangeaient l’absinthe à l’eau potable de leurs soldats, souvent contaminée, afin de rendre inoffensifs les agents pathogènes. Les rapatriés poursuivent cette habitude. L’absinthe était consommée en début de soirée, à partir de cinq heures.

Das Ende der grünen Fee. Ab 1910 in der Schweiz und 1915 in Frankreich war Absinth verboten. Doch im Untergrund blühte die Schwarzbrennerei. Auch davon erzählt eine Reise entlang der Route des Absinths von Pontalier, Franche-Comté nach Noirgaigue in der Schweiz / © Foto: Georg Berg
La fin de la fée verte. Dès 1910 en Suisse et 1915 en France, l’absinthe fut interdite. Mais dans la clandestinité, la distillation clandestine était florissante. C’est aussi ce que raconte un voyage le long de la Route de l’absinthe, de Pontalier, en Franche-Comté, à Noirgaigue, en Suisse / © Photo : Georg Berg

Les artistes de la Belle Époque se sont emparés de ce rituel de consommation, l’ont célébré et ont immortalisé l’absinthe dans leurs peintures et leurs récits. Vu d’aujourd’hui, il semble que toute l’élite de la scène artistique européenne ait déambulé dans le Paris de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, enivrée par l’absinthe. Henri Toulouse-Lautrec et Vincent van Gogh faisaient partie des buveurs d’absinthe connus. Manet, Degas et Baudelaire ont également littéralement incorporé l’absinthe dans leur art. Gauguin et Picasso ont souvent choisi le motif du buveur d’absinthe. L’absinthe était la première boisson que les femmes qui n’appartenaient pas au demi-monde pouvaient boire en public. L’amer aux herbes était bien moins cher que le vin. La dilution lente avec de l’eau de source froide pouvait se prolonger pendant des heures. Une raison bienvenue pour rester plus longtemps dans les bars plutôt que de retourner dans le logement exigu d’une grande ville comme Paris. Au début du 20e siècle, Paris avait donc une densité inouïe de bars et de cafés.

Le goût de l’interdit – la fin de l’absinthe

La fin brutale a eu lieu entre 1907 et 1923 dans presque toute l’Europe. Trop de prétendus drogués à l’absinthe, une dégradation des mœurs et un bon lobbying des viticulteurs, qui perdaient de plus en plus de clients au profit de l’absinthe, ainsi qu’un drame familial à l’issue fatale, créèrent un climat négatif à grande échelle. La prohibition ne pouvait plus être arrêtée. Mais l’absinthe survécut tout de même en Suisse grâce à la distillation clandestine. En France, les distilleries se sont tournées vers la production de pastis. La marque la plus célèbre devint Pernod.

Die Destillerien in Pontarlier stellten nach dem Verbot von Absinth auf der Herstellung von Pastis um. Vom Erfolg der berühmtesten Marke Pernod kann auch profitieren, wer so ähnlich heißt wie Henri-Louis Pernod / © Foto: Georg Berg
Après l’interdiction de l’absinthe, les distilleries de Pontarlier se sont reconverties dans la production de pastis. Ceux dont le nom ressemble à celui d’Henri-Louis Pernod peuvent aussi profiter du succès de la marque la plus célèbre, Pernod / © Photo : Georg Berg

L’absinthe – production à l’époque de la prohibition

C’est surtout dans le Val de Travers que la distillerie clandestine était florissante. Tout le monde dans le village savait ce que cela signifiait lorsque l’odeur de l’anis se répandait dans la rue. Mais la loi du secret s’appliquait. Le soir, les coursiers d’absinthe allaient de maison en maison pour remplir les bouteilles de réserve de leurs clients. Sous leurs longs manteaux, ils portaient des flasques de grande capacité, adaptées à leur morphologie.

In Hüftflaschen, die unter langen Mänteln getragen wurden, schmuggelte man Absinth von Haus zu Haus / © Foto: Georg Berg
L’absinthe était passée en contrebande de maison en maison dans des bouteilles à la taille, portées sous de longs manteaux / © Foto : Georg Berg

Environ 80 ans après son interdiction, l’absinthe a été à nouveau autorisée – de manière réglementée – dans l’UE. Depuis, la popularité de l’absinthe ne cesse de croître. Elle existe aujourd’hui dans les qualités, les couleurs et les concentrations d’alcool les plus diverses. Il est très intéressant de constater que certains fabricants produisent à nouveau de l’absinthe selon leurs propres anciennes recettes. On peut supposer que ces produits ne sont pas fondamentalement différents de ceux du 19e siècle.

Im Absinth Museum in Motiers ist diese verbotene Destillieranlage hinter einer knarzenden Zimmertür versteckt. Bei der Herstellung von Absinth werden gut getrockneter Wermut, Anis, Fenchel und weitere Kräuter in Neutralalkohol eingeweicht und anschließend destilliert. Der Alkoholgehalt des historischen Absinth lag zwischen 48 und 78 Volumenprozent Alkohol / © Foto: Georg Berg
Au musée de l’absinthe de Motiers, cet alambic interdit est caché derrière la porte grinçante d’une chambre. La fabrication de l’absinthe consiste à faire macérer de l’absinthe bien séchée, de l’anis, du fenouil et d’autres herbes dans de l’alcool neutre, puis à les distiller. La teneur en alcool de l’absinthe historique se situait entre 48 et 78 pour cent de volume d’alcool / © Photo : Georg Berg

L’absinthe – victime de son propre succès

Entre 1907 et 1923, l’absinthe a été interdite dans pratiquement tous les pays européens. A Pontarlier, haut lieu de la production, on se tourna vers la fabrication de pastis à base d’anis. L’utilisation de l’absinthe était interdite. En effet, l’huile essentielle de thuyone contenue dans l’absinthe était considérée comme responsable des effets nocifs tels que les vertiges, les hallucinations et la déchéance mentale et physique. Aujourd’hui, il est scientifiquement prouvé que les nombreux dommages sont plutôt dus à la consommation d’alcool en trop grande quantité et de mauvaise qualité. Même la teneur en thuyone de l’absinthe historique n’aurait jamais été dangereuse pour la santé. C’est plutôt le lobbying efficace des viticulteurs qui a conduit à l’interdiction de l’absinthe, car ils étaient les perdants du boom de l’absinthe. En effet, l’amer aux herbes était moins cher que le vin.

In Portalier sind wir zu Besuch in der Destillerie Pierre Guy. Ein Familienbetrieb der seit 1890 am Ort produziert und heute wieder preisgekrönten Absinth nach einem Familienrezept herstellt. Auf der Route de l’Absinthe kann man bei Pierre Guy und anderen Destillerien auf eine Degustation und auch Besichtigung der Produktion haltmachen / © Foto: Georg Berg
À Portalier, nous sommes en visite à la distillerie Pierre Guy. Une entreprise familiale qui produit sur place depuis 1890 et qui produit aujourd’hui à nouveau une absinthe primée selon une recette familiale. Sur la Route de l’Absinthe, on peut s’arrêter chez Pierre Guy et dans d’autres distilleries pour une dégustation et une visite de la production / © Photo : Georg Berg

L’équilibre entre l’amertume et la douceur

La source froide – l’eau très froide goutte sur le morceau de sucre et, à travers la cuillère richement décorée, dans le verre contenant l’alcool à température ambiante. L’absinthe prend alors une couleur vert laiteux. Cet effet a donné son nom à l’heure verte. Dès cinq heures de l’après-midi, le rendez-vous était donné dans les bars.

Im Maison de l’Absinthe wird man an einer Bar empfangen. Hier ist auch stets eine kalte Quelle im Einsatz. Früher tropfte das eiskalte Wasser mit der Geschwindigkeit von einem Tropfen pro Minute über den Zuckerwürfel und durch den Löffel in den zimmerwarmen Alkohol. Jeder Tropfen hinterlässt milchig-grüne Trübungen im Glas / © Foto: Georg Berg
A la Maison de l’Absinthe, on est accueilli au bar. Ici aussi, une source froide est toujours en service. Autrefois, l’eau glacée dégoulinait à la vitesse d’une goutte par minute sur le morceau de sucre et à travers la cuillère dans l’alcool à température ambiante. Chaque goutte laissait un trouble vert laiteux dans le verre / © Photo : Georg Berg

Le jeu de la source froide, les verres hauts, la cuillère, le dosage discret ont fait de l’absinthe une boisson également réservée aux dames. Une ivresse bien dosée à l’époque de l’art nouveau en plein essor. Un rituel mystique et spirituel qui se jouait jusque tard dans la nuit. Par le biais de la scène artistique et des premiers films de cinéma, il a été transporté plus loin dans la société.

L’absinthe dans les cocktails et les plats – des triomphes amers

Les légumes amers comme le chou et la chicorée ont le vent en poupe, la consommation de café et aussi de thé augmente dans le monde entier. Et l’absinthe, l’angostura et l’absinthe jouent également un rôle de plus en plus important dans le monde des bars. Le monde devient amer ! Cette tendance est déjà présente depuis longtemps dans la haute gastronomie. Les arômes amers miment le parfait contrepoids au sucré. Les composants amers renforcent le système immunitaire et prolongent la sensation de satiété. Cela ressemble à un superaliment. En cuisine, l’absinthe est idéale pour aromatiser des tomates cocktail cuites à l’étuvée ou pour déglacer une viande brièvement rôtie.

Im Gespräch mit Montse Lucas. Die Spanierin führt sehr kompetent durch die vielseitige Ausstellung im Maison de Absinthe von Motiers. Hier stehen wir vor einer Tafel, die die Route des Absinth zeigt. Eine Wanderstrecke von nur 48 Kilometern verbindet das französische Pontarlier mit dem schweizerischen Noiraigue. Auf der Route liegen zahlreiche Destillerien, Brasserien, Gasthöfe, Museen, Burgen, Hotels und Restaurants, die sich dem Thema Absinth annehmen oder seine Geschichte mitgeprägt haben / © Foto: Georg Berg
En conversation avec Montse Lucas. L’Espagnole nous guide de manière très compétente à travers l’exposition variée de la Maison de l’Absinthe de Motiers. Nous nous trouvons ici devant un panneau indiquant la Route de l’absinthe. Un parcours de randonnée de seulement 48 kilomètres relie la ville française de Pontarlier à la ville suisse de Noiraigue. L’itinéraire est jalonné de nombreuses distilleries, brasseries, auberges, musées, châteaux, hôtels et restaurants qui se consacrent à l’absinthe ou qui ont contribué à façonner son histoire / © Photo : Georg Berg

L’absinthe ayant été scientifiquement lavée de tout soupçon d’effet hallucinogène, rien ne s’oppose plus à sa renaissance. Si seulement Oscar Wilde l’avait su à l’époque ! Pour lui, l’absinthe était une boisson poétique. Mais c’est aussi à Oscar Wilde que l’on doit cette citation : « Après le premier verre, on voit les choses comme on aimerait les voir… A la fin, on voit les choses comme elles sont, et c’est la chose la plus épouvantable qui puisse arriver ».

Informations de voyage

La Route de l’absinthe
A pied sur la Route de l’Absinthe

Le musée de l’absinthe à Motiers
Maison de l’Absinthe

Publication papier

Le lieu du crime : distillerie noire, Transhelvetica #60.20, août sept. 2020, p. 92.

Le voyage de recherche a été partiellement soutenu sur place par la Fédération française du tourisme.

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Permalien de la version originale en allemand :https://tellerrandstories.de/absinth-verboten-wiederentdeckt
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